Nature 2050 | Interview sur le terrain d’Alexis Muñoz, oléiculteur à l’initiative du projet « Ferme de Baudrigue »
Vue d'ensemble visite © Julie Tourron, Nature 2050

Domaine historique de la ville de Roullens, la ferme de Baudrigue, dont les sols ont été progressivement abîmés par des usages répétés en agriculture conventionnelle, fait l’objet d’une nouvelle dynamique soutenue par le programme Nature 2050. Julie Tourron et Aloïs Clinton sont allés à la rencontre d’Alexis Muñoz, en charge du réaménagement oléicole agroécologique du domaine.

Peux-tu nous parler de la démarche globale du projet et de ce qui vous a poussé à vous pencher sur la Ferme de Baudrigue ?

Avant d’en arriver à Baudrigue, le programme Nectar a d’abord dû faire le choix de la zone d’implantation avec la décision de se rapprocher de Carcassonne, Castelnaudary et Limoux. C’est ce choix qui a défini l’aspect pédo-climatique de l’implantation.

Une fois le lieu géographique défini, par rapport à notre volonté de faire de l’oléiculture, on s’est mis en prospection d’un domaine agricole. Ça ne court pas les rues les grands domaines. On tombe sur Baudrigue qui est un lieu mythique de la région, très emblématique, qui a eu une vie riche et dense et qui nous a paru assez incroyable quand on y est allé la première fois : sur 150 hectares dont 100 hectares potentiellement agricoles et 50 hectares de forêt et de bâtis tout en ruines.  

Plantations vues de la forêt © Julie Tourron, Nature 2050

Plantations vues de la forêt © Julie Tourron, Nature 2050

Très intrigant et déjà naturellement riche en vie avec cette partie forestière, on voyait cette rupture, ce contraste avec une partie agricole qui a été sacrément exploitée avec toutes les choses qui ont été mises en terre pendant les années 70-80 : une partie vignoble (30 hectares) et une partie grande culture (70 hectares). On a trouvé des sols extrêmement dégradés, et à côté de ça des bâtiments abandonnés et des forêts très vivantes. Il a fallu totalement repenser le domaine. 

Ce que l’on veut ce n’est pas juste faire de la biodiversité pour faire de la biodiversité. Ce qu’on voulait c’était recréer de la vie, faire une agriculture du vivant avec le vivant et pour le vivant et recréer un dispositif global dans lequel, à terme, nous, on existe le moins possible. J’espère que par contagion on réussira à transmettre autour de nous à 4 ou 5 voisins, cette envie de faire de l’agriculture biologique.  

Baudrigue ça a été un vrai travail de réflexion, de conception et finalement l’action ce n’était pas le plus compliqué. On est assez content aujourd’hui, même s’il y a encore des petites choses à reprendre. Ce qu’il y a de génial c’est qu’on est sur une oléiculture régénérative comme on sait la faire : on travaille avec un arbre extrêmement rustique qui ne demande pas beaucoup d’intervention, un peu pendant trois ans et après il va quand même beaucoup se débrouiller. La plante est notre sujet pendant ces trois ans, et après on se penche sur le sol en y recréant de l’échange, et de la vie.  

A quelques détails près, on a la ferme que l’on voulait et maintenant il faut que l’on laisse la vie s’installer, que l’on laisse les arbres et les haies plantées l’hiver derniers grandir. 

Zoom sur olivier © Julie Tourron, Nature 2050

Zoom sur olivier © Julie Tourron, Nature 2050

Est-ce que tu peux nous en dire plus, justement sur les actions qui ont été mises en place, le travail qui a été fait sur les sols, les plantations, les mares ?

La première chose a été de casser les croûtes de labour, de décompacter le sol pour créer une possibilité au végétal de rentrer dedans.

Haies intra parcellaires © Aloïs Clinton, Nature 2050

Haies intra parcellaires © Aloïs Clinton, Nature 2050

Ensuite on a mis un engrais minéral pour structurer le sol (lithionite), c’est la seule fois qu’on en mettra d’ailleurs car on ne travaillera pas avec du minéral, on ne fait qu’avec de l’organique. On a apporté un structurant de sol, les effets ne sont pas majeurs mais comme il met très longtemps à se dégrader, il catalyse les nutriments en surface, donc dans le travail préparatoire cela nous permet de ne pas arriver tout de suite avec de l’engrais et de l’amendement.

Les haies, au-delà de la séquestration du carbone, c’était vraiment l’idée de recréer des corridors, de refaire circuler les oiseaux au milieu (des plantations). Déjà sur un plan technique, j’ai de la mouche de l’olive, et moi j’ai besoin de mésanges et de chauves-souris pour s’en occuper. Je voulais recréer le cercle de prédation, si tant est qu’on puisse y arriver un jour. Déjà sur le plan économique c’est intéressant, c’est un investissement pour le futur, et ça permet de retrouver une exploitation un peu jolie. On a envie aussi que le lieu soit beau en plus d’être efficace avec des oiseaux et des chauves-souris qui se chargent des ravageurs. Je considère qu’il faut qu’on puisse travailler dans un endroit qui nous charme tous les matins. 

J’ai toujours été fasciné par les mares. L’idée était de créer des havres de biodiversité, des petits pôles un peu privés et protégés, des zones humides, j’aimerais bien que dans cette forêt il y ait une vraie zone humide de laquelle les animaux puissent profiter et où personne ne peut aller. Retrouver de l’humidité des sols, de la vie.

Après, les nichoirs cela va de pair, faire revenir les oiseaux c’est leur redonner la possibilité de revenir.

On aura aussi bientôt recours à de la LiFoFer (Litière Forestière Fermentée). L’idée est de faire fermenter de la litière de forêt avec des levures et de l’épandre dans les sols, juste après un épandage de BRF ou de compost par exemple. Nous avons pu récupérer environ 1800 tonnes de compost auprès de l’agglomération de Castelnaudary.

On essaye ainsi de créer une économie circulaire, pour créer un petit tissu de 4-5 acteurs autour de nous.

Mare © Julie Tourron, Nature 2050

Mare © Julie Tourron, Nature 2050

Nichoir © Julie Tourron, Nature 2050

Nichoir © Julie Tourron, Nature 2050

On a prévu d’intégrer des poulaillers mobiles, pour éviter la prédation. Les poulaillers seront disposés dans l’oliveraie, et les poules pourront à la fois se nourrir des vers de la mouche de l’olivier, qui pond au sol, et apporter des nutriments aux sols. Dès que les oliviers seront grands, on plantera des auxiliaires comme les asperges sauvages, la moutarde blanche ou encore l’inule visqueuse, pour lutter contre la mouche.

Les sols, on va surtout ne jamais les travailler, et leur apporter un amendement, de matière organique, de fiente de poule, de compost permanent, sans non plus déséquilibrer les sols. C’est un temps qu’on doit respecter, le sol était mort, il faut lui redonner la vie petit à petit. On ne peut pas traumatiser tout ça. Et nous on a la sensibilité je pense, avec Thomas, Kahina (collaborateurs du projet), et les propriétaires aussi de le faire progressivement. On sait qu’on ne changera pas tout en deux ans. 

Et en termes de logique d’adaptation aux changements climatiques, est-ce qu’il y a des aménagements qui ont été pensés pour faire face aux défis climatiques à venir ? 

Déjà, nous irriguons deux fois moins que préconisé.  Cette irrigation déficitaire oblige la plante à descendre profondément. Donc ça veut dire que demain, si on manque d’eau, je ne suis pas très inquiet, sauf si on monte à 50°C, après l’arbre sera assez grand pour se débrouiller.  

Ensuite les sols, en recréant la vie. Si on est capable de recréer des sols vivants, on aura forcément des sols humides, et donc je dirais que se priver d’un ou deux mois d’eau ce n’est pas impossible. Cela passe par notre capacité à séquestrer du carbone, par les couverts végétaux, un peu par les mares. Je pense qu’on est en train de faire un itinéraire agronomique dans la gestion de l’eau et dans l’amélioration des sols, qui nous amènera de la résilience. 

Après nous on a des techniques sur l’olivier, de la taille par exemple. On ne taille plus trop comme avant, on taille beaucoup moins.
On a adapté aussi nos méthodes, notamment en taillant plus tôt, juste après la récolte d’octobre, afin que l’arbre ait plus de temps pour se remettre de la taille avant les gels.

 Je crois que Baudrigue peut devenir un lieu modèle pour les générations qui arrivent et qui ont envie. On le regardera avec des yeux assez doux dans 3, 4 ans. 

Plantations d’oliviers © Julie Tourron, Nature 2050

Plantations d’oliviers © Julie Tourron, Nature 2050