Jeannine Bourrely, propriétaire forestière et 1ère vice-présidente du Centre régional de la propriété forestière (CRPF) d’Occitanie
Quels sont les enjeux écologiques et climatiques propres à votre territoire ?
En tant que vice-présidente du CRPF d’Occitanie, je connais bien les problèmes de la forêt de cette région. Dans un contexte multifactoriel (monoculture, changement climatique, stations pauvres…), le châtaignier est dépérissant voire mort sur plus de 30 000 ha. De ce fait, il est impératif de trouver d’autres essences feuillues pouvant se substituer à celle-ci dont les qualités essentielles étaient de fournir une source d’alimentation pour les hommes et les animaux et un bois imputrescible. En raison du relief très marqué et des périodes de pluies de plus en plus violentes qui alternent avec des longues périodes de sécheresse, il faut trouver les moyens de retenir le plus possible l’eau dans les bassins versants.
Dans ce contexte, en quoi le projet Nature 2050 consiste-t-il et où en êtes-vous de sa mise en œuvre aujourd’hui ?
Sur 5 sites de châtaigneraies dépérissantes en forêt privée, soit 23 hectares, le projet NATURE 2050 nous permet de tester l’introduction de nouvelles essences ainsi que des méthodes de travail du sol pour retenir le plus possible l’eau lors des fortes pluies. Un suivi des plantations est réalisé par l’Institut du Développement Forestier, afin que ces plantations servent de référence pour permettre la reconstitution d’une forêt productive et d’un support biodiversité sur l’ensemble des Cévennes. Les travaux ont été engagés en 2017 et s’achèveront cette année ; 4 sites sur 5 sont en effet plantés. Les conditions climatiques nous ralentissent dans notre planning (grande sècheresse en 2017, fortes pluies à l’automne 2018 et sécheresse actuelle, en 3 mois nous avons eu seulement une journée de pluie), mais en même temps elles montrent l’urgence et l’importance de trouver des solutions adaptées aux enjeux.
En quoi les aménagements réalisés vous permettent-ils d’espérer répondre aux enjeux de la forêt Cévenole de demain dans un contexte de changement climatique ?
La forêt est un milieu complexe soumis à de nombreux paramètres et aléas que l’homme ne contrôle pas forcément. En plus, nous devons travailler à la fois sur le long terme et sur le très court terme. Aussi, il faut aborder sa gestion avec humilité et essayer le plus possible de la copier dans sa résilience. Ce qui signifie concrètement déjà de favoriser au maximum la biodiversité. Pour cela, nous avons travaillé en mosaïque avec 1 ha maximum de la même essence et avec un minimum de 50 % de feuillus. Nous avons aussi introduit comme essence d’accompagnement des sorbiers, cormiers, poiriers, pommiers. Ensuite, l’objectif est de favoriser la rétention de l’eau et empêcher l’érosion. Nous avons travaillé avec la pelle araignée, ce qui nous a permis d’andainer les rémanents de coupe et les souches le long des courbes de niveau (on a ainsi refait la même chose que nos ancêtres faisaient avec les terrasses !) Nous avons aussi implanté en bas des reboisements, les résineux à petites aiguilles afin qu’à terme le tapis d’aiguilles stoppe le ruissellement, absorbe et retienne au maximum l’eau et évite l’évapotranspiration.
Pour aller plus loin…
Véritable croissant montagneux (Nord-Est Sud-Ouest) au sud du Massif Central, les Cévennes s’élèvent de 300 à 1700 mètres avec des pentes très raides. Au cœur des vallées naissent beaucoup de rivières notamment le Tarn et les gardons. Les roches principales sont constituées de granits, schistes et grès, avec une forte présence de charbon. Les types de climat vont du méditerranéen au montagnard avec des épisodes de pluies très fortes. Le mont Aigoual, point culminant du Gard et 2ème sommet des Cévennes est l’un des endroits de France métropolitaine où sont enregistrés les plus importants cumuls de pluie sur de courtes périodes, notamment durant les « épisodes cévenols » en automne (2 m de précipitation en moyenne).
Le couvert forestier représente 90 % du territoire avec 2 essences principales importées : Le châtaignier et le Pin maritime. Le châtaignier est développé à partir du 13ème siècle pour ses vertus alimentaires et son bois de qualité, imputrescible. Quant au Pin maritime, son implantation est liée à l’exploitation des mines, principalement de charbon au 19 et 20e siècle. Cette essence était en effet utilisée pour étayer les galeries des mines car elle présentait l’avantage de « prévenir » avant de casser. Le Pin crissait, criait, geignait, ce qui permettait aux mineurs soit de remplacer à temps les éléments qui risquaient de se rompre, soit de se sauver. Le Pin maritime se régénère très bien, malheureusement son couvert est clair, favorisant l’embroussaillement et ses aiguilles sont longues et se délitent très mal, augmentant ainsi le risque d’incendie et détériorant la qualité des sols.