La CSRD, une directive inédite pour la prise en compte de la biodiversité par les entreprises
mare après ©CDC Biodiversité

Alors que la Commission européenne devrait proposer mercredi 26 février 2025 un projet de directive « omnibus » visant à simplifier le cadre réglementaire relatif à la finance durable et en particulier la Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité (CSRD), la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD), directive européenne qui vise à réglementer le « devoir de vigilance », et la Taxonomie durable, CDC Biodiversité ajoute sa voix aux déclarations rappelant que la CSRD est un instrument réglementaire inédit de la prise en compte des enjeux environnementaux par les entreprises au service de la transition climatique et environnementale.

Dans un contexte de 6e extinction de masse selon l’IPBES, et alors que 55% de l’économie mondiale dépend de la biodiversité, aider les entreprises à évaluer et réduire leurs impacts sur la biodiversité est essentiel et sera crucial dans l’alignement de l’économie européenne sur les objectifs de l’Accord de Kunming-Montréal.

Il est important de voir la CSRD comme une opportunité pour les entreprises de s’emparer de ce sujet, et de mettre en place des actions concrètes permettant réellement de réduire leurs impacts.

Dans ce contexte, nous appelons la Commission européenne à faire en sorte que la simplification omnibus ne fasse pas l’impasse sur la biodiversité, mais qu’elle se concentre sur l’opportunité d’adopter une approche plus opérationnelle de ce sujet.

Quelle place occupe la biodiversité au sein de la CSRD ?

La CSRD constitue un élément inédit de prise en compte de la biodiversité pour les entreprises : parmi d’autres thématiques, elle introduit l’ESRS E4, un volet dédié à la biodiversité et aux écosystèmes (European Sustainability Reporting Standards, ESRS, norme qui cadre le reporting des entreprises au développement durable). Cet aspect était jusqu’alors absent de la précédente version européenne du reporting extra-financier, la NFRD.

À ce jour, l’ESRS E4, dédié à la biodiversité et aux écosystèmes, doit être uniquement appliqué par les entreprises pour lesquelles la biodiversité est identifiée comme matérielle par rapport à leurs modèles économiques et leur chaîne de valeur. Aujourd’hui, seules les entreprises fortement dépendantes aux services écosystémiques doivent publier des informations encadrées par l’ESRS E4.

Actuellement, l’ESRS E4 est constitué de 122 data points, répartis en 7 étapes illustrées :

Parmi ces 122 data points, 58 sont obligatoires, et le reste est facultatif ou conditionnel. Les data points conditionnels visent à préciser les initiatives déjà mises en place par l’entreprise, tandis que les data points facultatifs sont laissés à la discrétion de l’entreprise.

Ainsi, aujourd’hui, l’ESRS E4 a, avant tout, un rôle déclaratif, permettant de recenser les impacts de l’entreprise et de sa chaîne de valeur sur la biodiversité, ainsi que les initiatives déjà mises en place en faveur du vivant. Son rôle est donc inédit et innovant, car il permet aux entreprises d’engager une réelle réflexion sur la prise en compte de la biodiversité dans leurs opérations et chaînes de valeur.

La démarche étant nouvelle pour les entreprises, l’obligation de divulgation de l’ESRS E4 avait été reportée de 2 ans pour les entreprises de moins de 750 salariés.

Les bienfaits d’une clarification et d’une opérationnalisation de la directive

La CSRD a suscité de l’inquiétude auprès des entreprises ; selon une consultation réalisée par Makesense auprès de 300 PME et ETI, 67% des entreprises estiment qu’il faudrait simplifier la CSRD pour l’adapter à leur réalité opérationnelle. 72% des entreprises consultées demandent également des guides sectoriels. Ces demandes mettent en avant le besoin de ressources supplémentaires pour répondre aux exigences de la directive.

La première parution de la norme manque globalement de lisibilité, ce qui rend la compréhension et mise en œuvre des actions complexes pour les entreprises. Pour l’ESRS E4 comme les autres volets de la CSRD, il est essentiel d’encourager l’autonomie des entreprises afin qu’elles soient en mesure d’évaluer elles-mêmes leurs impacts et dépendances (si besoin, avec l’appui ponctuel d’expertises). Dans cette perspective, une clarification et une opérationnalisation du texte semblent donc nécessaires.

En plus de la clarification de la directive, il est nécessaire que la norme s’appuie sur des outils adaptés et accessibles, dédiés à la mesure des dépendances et impacts globaux (en prenant en compte les chaînes de valeur) et locaux (en prenant en compte les sites de l’entreprise), ainsi que sur des plans d’action, cibles et métriques sectoriels. Les entreprises auraient ainsi à disposition des ressources sur lesquelles s’appuyer pour répondre aux attentes de l’ESRS E4 (et de la CSRD en général).

Un texte clarifié et opérationnalisé, tout en restant fidèle à ses ambitions initiales permettrait aux entreprises de mieux comprendre les exigences et de s’engager plus facilement dans des actions concrètes et transformatives de leurs modèles d’affaires.

Conserver l’ambition

Le reporting, sans être une fin en soi, est une étape essentielle pour faire le bilan des enjeux biodiversité de l’entreprise et des initiatives déjà mises en place. La CSRD permet ainsi au monde économique et politique de déployer un langage commun concernant les enjeux sociaux et environnementaux, de rendre le dialogue possible entre les entreprises et leurs parties prenantes, et de suivre et évaluer les progrès réalisés par les entreprises. Ce langage commun vise à encourager les entreprises à agir et à déployer des actions concrètes dans leurs opérations et chaînes de valeur, en vue d’éviter et de réduire leurs impacts.

La CSRD a déjà fait beaucoup ; de nombreuses entreprises sont déjà montées en compétences et ont investi des ressources en vue de la publication de leur premier rapport de durabilité ; les équipes financières et extra-financières ont pu se rapprocher ; et l’exercice de la double matérialité a encouragé les entreprises à se questionner de manière holistique sur de nombreux enjeux (climat, eau, biodiversité…). Il est important de valoriser ces efforts, et de donner l’exemple à d’autres pays. Cela a déjà commencé ; par exemple, les trois principales places financières chinoises vont imposer aux grandes entreprises cotées de divulguer leurs données extra-financières, en s’appuyant sur le principe de double matérialité.

Il reste donc à se mobiliser pour conserver l’ambition de la CSRD, tout en travaillant sur une démarche de clarification et d’opérationnalisation, qui pourra convaincre les entreprises réticentes de reconsidérer leur position et de voir le volet dédié à la biodiversité comme une opportunité. En rendant la directive plus accessible, la CSRD pourrait ainsi inciter un plus grand nombre d’entreprises à aller au-delà du minimum requis et à s’engager de manière plus concrète.

Pour s’engager, les entreprises ont besoin d’un cadre structuré, reconnu et ambitieux ; la CSRD peut jouer ce rôle, à condition de trouver un juste milieu où les ambitions environnementales sont préservées, tout en offrant des directives claires et réalisables, facilitant le passage à l’action.